Affichage environnemental : pourquoi il est important de s’en préoccuper
Depuis bientôt un an, En Mode Climat s’implique dans les expérimentations et débats concernant l’affichage environnemental. Nous ne sommes pourtant pas tellement convaincus qu’un (mauvais) score sur une étiquette de vêtements entraînera la fin du modèle de la fast fashion… alors pourquoi nous investir aussi activement ? Voici au moins trois raisons :
Cet affichage pourrait paradoxalement favoriser la fast fashion…
C’est très contre-intuitif, mais le risque est avéré : les vêtements de la fast fashion pourraient obtenir de meilleures notes que ceux émanant de marques éthiques. Tout dépend en effet des critères retenu pour le calcul : si le score affiché ne prend en compte que l’impact environnemental du produit, indépendamment de la quantité de pièces mise sur le marché et des pratiques commerciales de la marque, les vêtements de la fast fashion pourraient être mieux notés que les marques plus vertueuses.
En effet, elles peuvent fabriquer des vêtements qui, individuellement, ont un impact environnemental plutôt faible dans les méthodologies de calcul :
Les matières synthétiques, largement utilisées par la fast fashion, risquent d’être considérées comme ayant moins d’impact que certaines matières naturelles comme le lin ou le coton (par exemple, sur l’outil Ecobalyse, qui repose sur la base Impacts de l’Ademe, un t-shirt en polyester a moins d’impact qu’un t-shirt en coton).
Si la durabilité d’un vêtement n’est évaluée que via des tests normés de durabilité physique (ex : méthode Martindale de résistance à l’abrasion), il est possible que les vêtements en matières synthétiques soient mieux notés que les vêtements en matières naturelles
A terme, il est possible que les marques de fast fashion puissent valoriser le fait que certaines usines à gros volumes puissent avoir, à l’unité produite, un impact environnemental plus faible
Est-ce un problème, après tout ? Oui, car en matière d’impact environnemental de la mode, c’est bien la dose qui fait le poison. Si les marques poussent à la consommation, leurs efforts d’écoconception n’ont qu’une importance secondaire. Autrement dit, ce qui compte ce n’est pas l’impact environnemental par produit, mais la quantité de vêtements qu’on achète, et cette quantité a explosé ces dernières années. En 2022 par exemple, il s’est vendu en France 3,3 milliards de vêtements neufs, soit presque 50 par personne… contre 1,4 milliard dans les années 80.
Il est donc essentiel que l’affichage environnemental prenne en compte non seulement le cycle de vie du vêtement en question mais surtout ce qui est responsable de l’augmentation des quantités vendues : les pratiques commerciales des marques, la fréquence de renouvellement des collections, le nombre de nouvelles références mises sur le marché chaque année, le niveau de prix relativement au coût de la réparation… autant de critères rassemblés et combinés par En Mode Climat en une proposition d’indicateur de durabilité extrinsèque.
2. La méthodologie de mesure d’impact choisie pourrait servir d’étalon pour d’autres politiques environnementales
Nous ne croyons pas que la fast-fashion se résorbera “toute seule” dès lors que les consommateurs auront pris conscience de son impact - grâce à l’affichage environnemental - et cesseront d’eux-mêmes leurs achats.
Au contraire, nous sommes plutôt convaincus du contraire : seul un cadre réglementaire strict, touchant directement les producteurs et donneurs d’ordre (les marques) peut nous remettre sur la voie d’un niveau de production compatible avec les limites planétaires. Et c’est précisément pour cela que nous nous intéressons à la méthodologie qui fournira le socle de l’affichage environnemental. Il est très probable en effet que les critères définis comme pertinents dans ce cadre servent ensuite de référence pour l’élaboration d’autres politiques publiques. Lorsqu’il s’agira par exemple de soutenir, voire financer, les entreprises du secteur textile ayant des pratiques vertueuses, de favoriser leur accès à la commande publique. Ou, à l’inverse, de lutter contre la “prime au vice” et limiter l’accès au marché français ou européen aux marques dont l’impact environnemental est trop néfaste.
3. L’UE is watching us
Enfin, les travaux sur l’affichage environnemental en France sont suivis de très près par les institutions européennes, elles-mêmes en pleine réflexion sur leur mode de calcul des impacts environnementaux - la méthode PEF (Product Environmental Footprint). Les dernières propositions de la Commission européenne en la matière indiquent une intention de laisser la main aux Etats-membres sur la définition de leur(s) propre(s) méthodologie(s), au motif qu’un mode de calcul unique ne pourrait être adapté à la diversité des produits et des situations.
La Commission entend toutefois fixer un cadre, sous la forme d’une série de critères à prendre en compte. Dans cette perspective, les propositions françaises auront très certainement une influence particulière. Si la France prend en compte les incitations à consommer dans sa méthodologie par exemple, ce serait tout à fait innovant et pourrait inspirer à la fois d’autres Etats, et les institutions européennes.
En résumé, les discussions sur l’affichage environnemental nous poussent à nous poser une question fondamentale : qu’est-ce qui permet de distinguer une production vertueuse d’une production néfaste sur le plan environnemental ? Dans ce débat, nous affirmons que l’analyse ne peut se limiter aux qualités intrinsèques du produit mais doit examiner les pratiques des entreprises qui mettent sur le marché ces produits : contribuent-elles ou non à une surproduction et une surconsommation qui mettent en péril la préservation des ressources disponibles sur notre planète ?