Le problème de la fast fashion, ce n’est pas la mauvaise qualité.
Le problème, c’est qu’à cause de la fast fashion, on arrête de porter nos vêtements avant même qu’ils ne soient abîmés.
Nous entendons très souvent dire que les vêtements de la fast fashion sont de mauvaise qualité, ce qui expliquerait qu’on les jette plus vite.
Comme toute idée reçue, il y a un fond de vérité : des vêtements qui se déforment au premier lavage, dont les coutures se défont, dont les matières ne résistent pas à l’usage… Nous en avons tous connu. Mais le phénomène est-il vraiment si courant aujourd’hui ? Le problème de la qualité ne serait-il pas l’arbre qui cache la forêt ?
La fast fashion et l’ultra fast fashion, championnes des process… et de la qualité
Le succès commercial de la fast fashion et de l’ultra fast fashion tient aux bas prix, à des pratiques marketing agressives et… à une forme d’excellence sur le plan opérationnel. Par excellence, nous entendons une optimisation des process à tous les niveaux, y compris bien sûr celui de la conception et production des vêtements. Ce qui signifie que la qualité peut tout à fait être au rendez-vous. La fast fashion sait (faire) fabriquer des vêtements durables sur le plan physique (résistance), et elle peut le faire à bas prix grâce à ses économies d’échelles et sa production délocalisée. Son poids économique lui permet même d’imposer les conditions les plus dures à ses fournisseurs, comme celle de laisser à leur charge les produits jugés non conformes. D'ailleurs, les études montrent qu'il n'y a pas de corrélation entre bas prix et faible résistance.
Quoi de plus résistant que le polyester ?
La fast fashion doit aussi son essor à la disponibilité d’une matière “à tout faire” : le polyester. Issu du pétrole, il est bien plus résistant sur le plan physique que les matières naturelles comme le coton. Il ne se déforme pas, ne s’use quasiment pas… (le revers de la médaille, c’est qu’il polluera les milieux marins pendant des centaines ou milliers d’années , faute de se biodégrader rapidement).
A l’inverse, des matières perçues comme plus nobles et quasi jamais utilisées par la fast fashion, comme la laine, peuvent être plus fragiles (vous le savez si vous avez déjà passé un pull en laine en machine).
Qualité n’est pas égal à résistance physique
Pour autant, les matières naturelles moins résistantes que les tissus issus du pétrole sont-elles moins qualitatives, et donc moins durables ? Nullement, car elles ont d’autres propriétés très appréciées, et qui participent à la “qualité” d’un vêtement : tenir chaud sans empêcher la peau de respirer, ne pas retenir les odeurs de transpiration comme peut le faire le polyester, ou être agréables à porter, tout simplement. Des qualités qui donnent envie de porter un vêtement pendant de nombreuses années.
La durabilité d’un vêtement dépend de la valeur qu’on lui donne
Or l’impact environnemental d’un vêtement tient à sa durée d’utilisation. La résistance physique influence bien sûr cette durée, mais dans une moindre mesure que le renouvellement effréné de notre garde-robe et l’accumulation auxquels nous pousse le modèle de la fast fashion. En Mode Climat défend donc l’idée que l’on s’intéresse aussi et surtout à ce qui détermine la durabilité extrinsèque des vêtements. Il ne s’agit pas là d’examiner des facteurs psychologiques, individuels, mais d’identifier les stratégies commerciales qui créent de la surconsommation : pratiques marketing agressives, renouvellement incessant des références mises en vente, incitation à l’achat à crédit, politiques de prix dérisoires (au détriment d’une rémunération décente des travailleurs au bout de la chaîne), ou encore greenwashing.
Est-ce qu’on a des preuves de ce qu’on avance ? Oui, au moins trois.
Les preuves que la durabilité extrinsèque pèse au moins autant que la durabilité intrinsèque
1/ L'évolution historique des ventes de vêtements. Le nombre de vêtements achetés par Français a presque doublé depuis les années 80. Chaque Français achète en moyenne 40 vêtements neufs chaque année selon les chiffres Refashion 2022. Or en 1984, la consommation de vêtements était de 1,3 milliards en France, donc 23 vêtements / habitant / Français (source : enquête INSEE 1984 sur 7500 ménages). Il est peu probable que cela soit dû à une baisse de la qualité qui aurait forcé les gens à acheter plus souvent. Certes, la recherche du bas prix a certainement pu tirer la qualité vers le bas (matières plus fines, grammages en baisse, confection moins soignée avec moins d’attention portée aux coutures…). Mais en parallèle, les procédés industriels de fabrication se sont améliorés (utilisation croissante de matières synthétiques qui tiennent plus longtemps, filature “compact” pour des fils plus robustes, amélioration des techniques de teinture, etc.). En revanche, les pratiques commerciales des marques ont, elles, largement évolué dans la période avec l’arrivée de la fast fashion : baisse des prix relatif, accélération du renouvellement des collections, augmentation des promotions, etc.
2/ Les études sur les causes de fin de vie. Plusieurs sondages ont été menés dans différents pays ces dernières années pour comprendre les causes de fin de vie des vêtements. Voici sur ce lien les résultats de 7 sondages retrouvés dans différentes études (les seules que nous ayons pu trouver). En moyenne, on constate donc que les répondants disent jeter leurs vêtements à 35% parce qu'ils sont usés, à 26% parce qu'ils ne leur vont plus et à 30% parce qu'ils s'en sont lassés. La qualité d'un vêtement ne permettrait donc de prédire que partiellement son nombre de jours de porter. Mais attention : regarder uniquement la fin de vie d'un vêtement est insuffisant. Avec l'arrivée de la fast fashion depuis les années 90, il est très probable que les vêtements s'accumulent dans les placards en étant de moins en moins portés, sans être jetés ou donnés.
3/ Les études sur la qualité des vêtements effectivement jetés en bornes de collecte. Une étude norvégienne d’août 2023 (disponible ici) a analysé 3024 vêtements jetés en points de collecte. Résultats : 60% des vêtements sont en très bon état et tout à fait encore portables. Pour être plus précis : 17,7% des vêtements ont été notés 5/5 (i.e. “comme neufs”) et 42% ont été notés 4/5 (i.e. soit des petits trucs à faire genre un bouton à replacer, soit le tissu a un peu vécu, genre plus fin par endroits). Cela donne donc l’ordre de grandeur minimum à accorder à la “durabilité extrinsèque” par rapport à la “durabilité intrinsèque”. Si 60% sont jetés avant d’être abîmés, il devrait en théorie y avoir 60% pour la durabilité non-physique, et 40% pour la durabilité physique (modulo les vêtements jetés parce qu’ils ne sont plus à la bonne taille). Et c’est bien un “minimum” car il y a aussi plein de vêtements en très bon état qui s’entassent dans les placards sans même être jetés.
Il est donc essentiel que l’importance de cette “durabilité extrinsèque” soit reconnue dans les différentes réglementations à venir, que ce soit dans l’affichage environnemental ou les règles d’accès au marché européen.
Edit : cet article a été modifié le 30 avril 2024.