L'Europe veut progresser sur le tri des textiles, mais à quel prix ?

À partir de 2025, il sera obligatoire de trier les textiles usagés à travers toute l’Europe. Cette décision prise en 2018 va évidemment dans le bon sens : il s’agit d’éviter de continuer à mettre en décharge ou à incinérer des vêtements ou des chaussures qui pourraient encore servir, ou dont la matière pourrait éventuellement être recyclée. Mais cette mesure n’est pas sans conséquence : pour les pays européens, et pour le reste du monde. 

Quelle ambition pour la REP à l’échelle de l’Europe ? 

Parmi les États membres de l’UE tout d’abord, il s’agit de mettre en place tout un dispositif de collecte et de tri qui est dans certains pays complètement inexistant à ce jour. Qui va financer cela ? L’Europe propose la généralisation du système de “responsabilité élargie du producteur” (REP), comme cela se fait déjà pour les emballages par exemple. Les fabricants ou distributeurs qui mettent sur le marché des produits textiles devront verser une écocontribution permettant la prise en charge du produit en fin de vie. 

Les filières REP, on connaît plutôt bien en France : celle dédiée au textile, linge et chaussures (TLC) existe depuis 2008 ! Ce qui nous confère une certaine responsabilité, car les caractéristiques du “modèle français” servent d’inspiration au niveau européen. Côté En Mode Climat, nous en connaissons les limites, et estimons que son fonctionnement doit évoluer pour devenir radicalement plus incitatif à l’écoconception (via des montants d’écocontribution plus élevés) et surtout à la réduction des volumes (démesurés) mis sur le marché. Ce n’est toutefois pas l’orientation prise à l’heure actuelle par la Commission européenne, dont la proposition publiée en juillet propose pour l’instant des règles du jeu très peu exigeantes pour les futures REP textiles qui devront être mises en place dans les Etats de l’UE. Aucun objectif chiffré n’y figure, que ce soit en termes de prévention, de collecte, de réemploi ou de recyclage. C’est pourquoi nous nous mobilisons avec 10 autres organisations françaises et européennes, pour que les parlementaires européens révisent l’ambition à la hausse. 

lire le détail de nos propositions

Risques et impacts principaux se situent bien au-delà de nos frontières 

Nous n’avons pas conscience des impacts de nos vêtements, car ils sont très éloignés de nous. Que ce soit à l’étape de leur production ou à celle de leur fin de vie, les conséquences environnementales et sociales pèsent très majoritairement sur des pays plus (Chine, Bangladesh, Ghana..) ou moins (Turquie) lointains de l’Union européenne :

  • La production de vêtements, de textiles et de chaussures destinée à la consommation européenne se traduit selon l’Agence européenne de l’environnement par 80 % de matières premières primaires, 88 % d’eau et 92 % de terres utilisées et 73 %  d’émissions de gaz à effet de serre (GES) produites en dehors de l'UE (1).

  • A l’autre bout de la chaîne, les exports de textile usagé s’élèvent déjà à 1,83 millions de tonnes par an… soit près de 9 milliards de vêtements ! Et ce, alors que la collecte séparée n’est pas encore obligatoire à ce jour. Une partie seulement sera effectivement réemployée une fois arrivée à destination, le reste venant saturer des installations de traitement des déchets parfois quasi-inexistantes. 

Il semble donc indispensable que la réglementation européenne évolue dans le sens d’une réduction de ces impacts hors-UE… ce qui est loin d’être garanti. 

Côté fin de vie en effet, l’avancée européenne en matière de collecte des textiles usagées pourrait ainsi se traduire par une croissance considérable des exportations. Si l’on atteint par exemple un taux de 40% de textiles usagés collectés (contre un peu moins de 20% à l’heure actuelle en moyenne au sein de l’UE), une augmentation même ambitieuse des capacités locales de tri, de réemploi ou de recyclage ne sera en effet pas suffisante pour absorber les nouveaux volumes collectés (2). Seule solution, que nous défendons : diminuer en priorité le flux entrant, c’est-à-dire les volumes de vêtements neufs mis sur le marché européen. Il s’agit pour nous d’un objectif qui doit impérativement être inscrit, et chiffré (3), dans le texte actuellement discuté. 

En outre, puisque la “responsabilité élargie du producteur” porte aussi, et avant tout, sur le financement des coûts de collecte, gestion, réemploi et recyclage, il semble essentiel de poser la question de leur destination géographique : si une partie des déchets textiles de l’Union européenne terminent leur vie dans des pays tiers, une partie de l’argent collecté au travers de la REP doit permettre de financer des infrastructures de traitement adaptées dans ces pays. En ce sens, nous saluons le travail d’analyse mené par The Or Foundation et nous nous associons à leurs demandes

A suivre dans un prochain article : notre analyse des premières discussions des députés européens sur le texte proposé par la Commission.


(1)  European Environmental Agency, rapports de 2019 et 2022 cités dans l’étude d’impact publiée avec la proposition de Commission européenne sur la révision de la directive cadre déchets, le 5 juillet 2023, page 5. 

(2) Pour illustrer l'écart qui doit être comblé par la réduction à la source : atteindre un taux de collecte séparée de 40 % pour les textiles dans l'UE augmenterait les volumes collectés de ≈2,5 millions de tonnes/an, alors que l'augmentation de la réutilisation dans l'UE de 150 % et des capacités de recyclage de 250 % par rapport à 2019 (qui sont des taux de croissance très optimistes) ne couvriraient ensemble que ≈1,3 millions de tonnes supplémentaires. L'écart serait alors de ≈1,2 millions de tonnes, ce qui équivaut à 10 % du total des déchets textiles avant et après consommation en 2020. Estimations basées sur les données du JRC mentionnées dans l’étude d’impact publiée le 5 juillet 2023, op. cit.

(3) Nous proposons un objectif de réduction des volumes de -10% pour 2030, -30% pour 2040, par rapport aux mises en marché de 2019, pour garder la maîtrise des volumes en aval. 

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